N. 59 Juillet 2012 | Profiter du changement d’ambiance en Europe pour y traduire les nouvelles propositions en initiatives politiques

La crise de l'euro n'est pas encore résolue, mais avec la décision des gouvernements de la zone euro de s'engager immédiatement sur la voie des unions bancaires et budgétaires, l'approbation par le parlement allemand du pacte fiscal et du MES, et les engagements similaires pris par la France, l'Italie et l'Espagne, le contexte a changé et une fenêtre d'opportunité pour faire l'Europe s'est ouverte.

L’issue du Conseil européen et du Sommet de l’eurozone des 28 et 29 juin à Bruxelles doit être interprétée avant tout à la lumière de trois signaux politiques qui, au terme des travaux, ont été lancés au marché international et aux opinions publiques.

Mais les actes qui ont accompagné ces Sommets, à commencer par la ratification du Traité budgétaire et du MES à une très large majorité du Bundestag et du Bundesrat, ont été tout aussi importants. Et en second lieu l’annonce, de la part de la France, qu’elle était désormais prête à faire rapidement de même ainsi que les engagements analogues pris par l’Italie et l’Espagne (où un accord a été passé entre gouvernement et opposition pour la ratification). On sait bien que sans le soutien de ces quatre pays qui doivent contribuer ensemble pour environ 80% des fonds à disposition du Mécanisme européen de stabilité, ce dernier n’aurait eu aucune crédibilité. Ces mêmes pays ont été à l’origine de l’initiative pour engager une coopération renforcée d’un groupe de pays limité pour introduire la taxe sur les transactions financières à laquelle la Grande Bretagne est opposée, et donc sans aucune possibilité d’être adoptée par le Conseil européen. Cette taxe est désormais considérée comme une des principales sources possibles de revenu pour créer les ressources nécessaires au financement d’un plan de développement européen, sur une base autonome et permanente.

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Tout cela ne signifie pas que l’euro est sauvé ; ni que la crise est résolue et encore moins que l’Europe a accompli des pas irréversibles sur la voie de l’union fédérale. Mais cela signifie qu’une fenêtre d’opportunité pour faire l’Europe s’est ouverte.

En l’espace de quelques mois, justement en raison de la crise et de l’inadéquation des institutions européennes et des pays européens pour l’affronter, le climat a changé. L’alternative face à laquelle les Européens sont placés est devenue plus claire : il est en train de se former un large rassemblement de forces disponibles pour soutenir la relance du projet d’unification européenne à la fois sur le terrain politique et économique. On parle aujourd’hui explicitement en Allemagne et en France de la nécessité du saut fédéral et des transferts de souveraineté indispensables pour le réaliser, comme l’a admis François Hollande lui-même. En outre, pour la première fois depuis qu’a éclaté la crise de la dette souveraine, les gouvernements de l’eurozone ne se sont pas limités à agir pour gagner un peu de temps précieux : ils ont commencé à encadrer cette action de riposte dans un processus aux contours et aux contenus non encore définis mais qui doit sûrement comprendre, comme tous les protagonistes institutionnels nationaux et européens l’admettent désormais, l’union bancaire et budgétaire et l’union politique. On a affirmé le fait que, comme l’a déclaré la Chancelière Merkel face au Bundestag à la veille du Sommet de Bruxelles, ces deux objectifs doivent être “closely linked” entre eux, pensés “only in concert” et démocratiquement légitimés dans un cadre initial à dix-sept.

Pour ce qui concerne les forces politiques et sociales, dans les principaux pays de l’eurozone, non seulement la nécessité d’approuver les Traités budgétaire et sur le MES est largement acceptée, ce qui se reflète à travers les larges majorités parlementaires (et référendaires) par lesquelles ces traités ont été ou vont être approuvés ; mais il est en train de se former un nouveau terrain de débat qui dépasse l’opposition stérile entre politique économique tournée vers la rigueur et politique orientée au contraire vers le développement, et qui commence à mettre en évidence l’exigence de créer un cadre politico-institutionnel européen démocratiquement légitimé et en mesure d’assumer les fonctions effectives d’un gouvernement comme condition-même de la relance de l’économie.

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Personne ne peut dire de combien de temps on disposera pour réaliser le saut fédéral en ce qui concerne le gouvernement de la monnaie avant que de nouveaux chocs, peut-être fatals ne frappent l’Europe. Il n’est pas non plus donné de savoir combien de temps il faudra pour traduire en actions et en initiatives politiques le ferment de propositions, le désir de plus d’Europe et de fédéralisme et les convergences des intentions qui se sont manifestées dans la société, dans les institutions et chez certains gouvernements. C’est justement pour cela qu’il est urgent de définir un projet pour créer une union fédérale et le cadre possible de fonctionnement de ses institutions dans un temps donné, avec l’implication des citoyens dans un nouveau processus constituant.

Pour accomplir ce pas, il ne suffit plus simplement de dénoncer les limites évidentes de la méthode intergouvernementale dans le gouvernement de l’Union européenne et de l’eurozone. Il faut affronter et dénouer, d’un côté les résistances qui subsistent encore, au sein de l’eurozone, à l’hypothèse du transfert de souveraineté des Etats à l’Europe, et de l’autre, la contradiction institutionnelle qui complique encore la possibilité de résoudre la question de la légitimité démocratique des décisions européennes (et donc de réconcilier définitivement les citoyens avec le cadre européen dont dépend leur avenir et leur bien-être).Il s’agit du fait que la composition et la méthode de travail du Parlement européen et de la Commission européenne qui, dans la perspective d’une organisation fédérale de l’eurozone, doivent pouvoir se transformer en institutions qui représentent les intérêts des citoyens de cette zone prévoient aujourd’hui la présence des pays qui n’ont pas l’intention de participer à l’Union monétaire ni de prendre en considération l’hypothèse d’être associés à un quelconque transfert de souveraineté.

C’est là le terrain sur lequel les parlementaires européens et nationaux, les partis politiques et les gouvernements doivent avancer des propositions, en débattre et se positionner. Et c’est là le terrain sur lequel les fédéralistes continueront à les talonner en leur demandant de définir un projet institutionnel cohérent et crédible d’union fédérale entre les pays de l’euro au sein de l’Union européenne et de fixer un calendrier pour la réaliser. Et ils devront le faire rapidement avant que disparaisse l’occasion – certainement la dernière de ce cycle historique – de faire l’Europe.

Publius

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