N. 76 Décembre 2023 | La reforme des traités présentée à la Commission des Affaires Constitutionnelles jette les bases d’un processus constitutionnel fédéral

Le 22 novembre, le rapport sur les propositions du Parlement européen pour la modification des traités (2022/2051(INL)) a été voté par le Parlement européen. Ce rapport propose une profonde réforme institutionnelle pour rendre l'Union européenne plus démocratique et plus capable d'agir, et donc apte à faire face aux défis politiques et à l'élargissement. Ce vote ouvre aussi formellement la procédure de révision des traités et, à cet égard, appelle les gouvernements et les parlements nationaux à prendre parti. C'est précisément dans cette optique - en vue de la transmission du Conseil de l'UE au Conseil européen (que nous espérons dès décembre, afin qu'une décision puisse être prise lors de la réunion de mars) - que la Lettre européenne publie cette note expliquant le contenu et la valeur de ce rapport et invite les parlements nationaux à en discuter avec leurs gouvernements. Nous signalons également ce projet de résolution (LIEN) que les parlements nationaux peuvent discuter et adopter.

Le 22 novembre dernier, le Parlement européen a approuvé le rapport sur les propositions d’amendements aux Traités rédigé par les membres du groupe Spinelli, Guy Verhofstadt, Sven Simon, Gabriele Bischoff, Daniel Freund et Helmut Scholz. Le texte a reçu 291 voix pour, 274 contre et 44 abstentions.

La procédure de révision prévue à l’article 48 du TUE a donc été formellement activée. Dès les prochains jours, le Conseil transmettra au Conseil européen la demande de modification accompagnée des propositions détaillés d’amendements aux traités. Le Conseil européen devra donc décider à la majorité simple (14 gouvernements sur 27) s’il convient de convoquer une Convention pour entamer les négociations sur la réforme de l’Union avec les représentants des gouvernements, des parlements nationaux, de la Commission et du Parlement européen.

L’adoption de ce rapport crée une opportunité très importante pour la bataille fédéraliste malgré quelques changements significatifs que le texte a reçu pendant la phase d’approbation en plénière.

Le projet de réforme des traités : le texte définitif approuvé par le Parlement européen

Le nouvel équilibre institutionne

Le document final approuvé par le Parlement européen confirme une grande partie du contenu du texte initialement élaboré au sein de la Commission AFCO.
Le projet de réforme des traités envisage tout d’abord la création d’un nouvel équilibre institutionnel grâce à un renforcement majeur du Parlement européen, qui acquerra un rôle de codécision dans de nombreux domaines clés, de la politique étrangère à la politique de défense, de la coopération en matière pénale à la coordination des politiques économiques et sociales des États membres, de l’autorisation des négociations internationales à l’adoption du cadre financier pluriannuel. En même temps, le Conseil ne pourra (presque) plus prendre de décisions à l’unanimité.

En règle générale, il devra prendre ses décisions à la majorité qualifiée (dite « double majorité ») et, dans certains cas seulement, à la majorité simple ou à la majorité qualifiée renforcée. Il est clair que ces propositions visent à rapprocher l’UE d’un modèle bicaméral, dans lequel les représentants des citoyens européens et ceux des États membres décident ensemble des politiques de l’organisation.

Deuxièmement, la réforme de la procédure d’élection de la Commission (qui sera rebaptisée « Exécutif ») est confirmée. Dans un premier temps, le Parlement proposera un candidat pour le rôle de Président (de l’Union) et, dans un deuxième temps, le Conseil européen exprimera son consentement à la majorité simple. Cette procédure vise à renforcer la procédure des Spitzenkandidaten et à exclure les vetos a priori des États membres sur le choix du futur Président. Quant aux candidats Commissaires (qui seront rebaptisés « Secrétaires »), ils seront choisis par le Président puis élus par le Parlement, sans implication a priori des gouvernements nationaux, comme c’est le cas actuellement.

Le Conseil européen ne nommera la Commission/l’Exécutif en bloc qu’à la fin, par un vote à la majorité simple. Ces changements visent à renforcer l’adhésion de l’Union au modèle de démocratie parlementaire. Ceci est confirmé par l’abaissement de la majorité requise pour un vote de censure (défiance) de la Commission/de l’Exécutif par le Parlement, qui passe des deux tiers actuels à la majorité absolue. Cela renforcera le contrôle politique du Parlement sur l’ensemble de la Commission/de l’Exécutif et sur les différents Commissaires/Secrétaires. À son tour, le Président de l’Union (c’est-à-dire le Président de la Commission/Exécutif) dirigera le Conseil européen afin d’obtenir, espérons-le, une meilleure synthèse par rapport aux différentes priorités nationales.
L’accroissement des compétences

Le projet approuvé par le Parlement appelle à une extension significative des compétences de l’Union européenne : formellement, la politique étrangère et de sécurité commune deviendra une compétence concurrente, à laquelle s’ajouteront la santé, l’industrie et l’éducation. Il sera également possible d’étendre plus facilement la compétence du Parquet européen à de nouveaux types de crimes d’importance transnationale. En matière de politique environnementale, le rôle de l’Union dans la lutte contre le changement climatique est renforcé par de nouvelles références spécifiques parmi les objectifs de l’organisation conformément à l’art. 3 TUE et par l’introduction d’une compétence exclusive pour conclure des accords sur ce sujet.

Un contrôle plus efficace de l’Union sur la violation des valeurs

La procédure d’infraction prévue à l’article 7 TUE pour violation des valeurs de l’Union, déjà activée sans succès à l’encontre de la Pologne et de la Hongrie en raison de l’inaction de nombreux gouvernements, sera profondément transformée. Tout d’abord, son activation nécessitera une majorité qualifiée et non plus l’unanimité. Plus important encore, le contrôle ne sera plus de nature politique, mais judiciaire, la Cour de justice étant chargée de décider s’il y a effectivement violation des valeurs. Le Conseil pourra alors appliquer des sanctions, y compris la suspension des fonds européens, à la majorité qualifiée.

L’approbation de la réforme à la majorité

L’un des points les plus importants pour le succès du projet est que le traité réformateur, selon les requêtes du Parlement, ne nécessitera que 4/5 des ratifications pour entrer en vigueur. Il est donc fortement demandé que la révision des traités soit adoptée à la majorité des Etats membres, afin de dépasser la « dictature » de la minorité imposée par la règle de l’unanimité, qui a paralysé dans le passé les ambitions des pays les plus ouverts à une intégration plus poussée. Les bases sont ainsi jetées pour une rupture avec le cadre « confédéral » dans lequel l’Union européenne est actuellement coincée et la possibilité pour les États membres de se réorganiser en différents cercles d’intégration avec, espérons-le, un noyau fédéral au centre.

L’affaiblissement de la proposition par rapport au projet initial approuvé par la Commission AFCO

La satisfaction liée à l’activation de la procédure d’amendement du traité ne doit pas cacher la frustration face à certains affaiblissements importants que le projet a subis lors de la phase d’approbation en plénière. En raison du veto et du chantage de certains groupes politiques, le texte final, tel qu’amendé par le Parlement, a été privé de certaines demandes de réforme importantes initialement formulées par la Commission AFCO.

L’affaiblissement le plus important concerne la suppression de l’amendement qui aurait doté l’Union de sa propre capacité fiscale autonome. L’article 311 du TFUE sur la modification du cadre des ressources propres du budget de l’UE maintient en effet la règle de l’unanimité au Conseil et l’approbation ultérieure par tous les États membres conformément à leurs procédures internes. Ainsi, l’Union ne pourra pas se doter facilement d’une nouvelle dette commune, ni de nouvelles recettes stables pour son budget, puisque chaque gouvernement (et chaque parlement national) pourra exercer un droit de veto. La gravité de ce renoncement est due à l’importance systématique que revêt le développement de la capacité fiscale dans la création des États fédéraux, puisque le pouvoir de collecter des ressources sert à financer les politiques de l’organisation de manière autonome. En d’autres termes, la compétence fiscale est fonctionnelle à la Kompetenz-Kompetenz et donc à la capacité de l’Union à s’autodéterminer en s’affranchissant du contrôle des États membres.

Un deuxième affaiblissement important concerne la suppression dans la proposition de toute référence au référendum paneuropéen. Celui-ci aurait été un instrument important non seulement pour permettre aux citoyens de prendre directement des décisions contraignantes pour le développement des politiques de l’UE, mais aussi pour approuver une future réforme des traités par un vote à la majorité, grâce à une légitimation populaire au niveau européen.

Les raisons pour lesquelles le vote du Parlement européen ouvre néanmoins une fenêtre d’opportunité pour la bataille en faveur d’une Europe fédérale.

Avec le vote du 22 novembre, une première phase du processus de réforme de l’Union s’est achevée avec succès. Le Parlement européen a su prendre le relais de la Conférence sur l’avenir de l’Europe et présenter une proposition ambitieuse de réforme des traités en intégrant la plupart des propositions des citoyens, y compris celles des fédéralistes européens. Certes, le tournant fédéral contenu dans le projet devra être mieux défini, notamment en raison de la suppression in extremis de la demande d’une capacité fiscale de l’Union. Cependant, la réforme proposée par le Parlement vise clairement à doter l’Union d’une plus grande souveraineté et d’une plus grande démocratie.

A la lumière des transformations majeures qu’impliquerait le projet de réforme, il est important de réfléchir aux raisons pour lesquelles le texte a été soutenu en plénière par une majorité plus faible que celle qui s’était manifestée au sein de la Commission AFCO. Dans une large mesure, la raison en est due au fait que les forces politiques se sont divisées en raison de leur volonté d’inclure dans le rapport des questions politiques qui divisent, donnant ainsi plus d’importance au positionnement idéologique plutôt qu’à la construction des instruments institutionnels qui sont une condition nécessaire pour pouvoir mener des politiques. L’évaluation correcte des priorités par rapport à la bataille pour construire une Europe capable d’agir et plus démocratique devrait être comprise par toutes les forces pro-européennes, qui sont avant tout appelées à comprendre la nécessité de s’unir dans l’objectif commun de renforcer la maison commune, plutôt que de se diviser sur des questions d’identité avant d’avoir créé les outils qui leur permettront de réellement mener à l’échelle européenne les batailles auxquelles elles croient.

Cet effort est d’autant plus nécessaire que, l’enjeu étant désormais clair, à savoir la possibilité de réformer les Traités dans une clé fédérale de la part d’une majorité de pays, les forces eurosceptiques et celles fondamentalement favorables au statu quo ont fait front commun. Leur crainte est aussi, en même temps, l’espoir des fédéralistes : l’ouverture du chantier de la révision des traités européens pourrait déclencher un processus susceptible de bouleverser les équilibres politiques et juridiques actuels qui régissent l’Union et de polariser les gouvernements et les forces politiques entre les partisans d’un saut fédéral et ceux qui s’y opposent.

Même l’affaiblissement du texte ne doit pas être perçu comme une défaite définitive ou une erreur irréparable qui invaliderait la portée du vote du Parlement européen. En fait, le travail parlementaire qui s’est achevé le 22 novembre a laissé trois héritages importants :

  • la procédure de révision des traités a été formellement activée: les Etats seront donc contraints de se prononcer personnellement sur les propositions du Parlement européen et sur la nécessité de faire progresser l’intégration européenne;
  • le Parlement européen a affirmé avec force la nécessité d’une réforme des Traités à la majorité et donc d’une refonte du cadre juridique actuel basé sur l’unanimité ;
  • la révision proposée des Traités va dans le sens d’une plus grande souveraineté européenne sur des questions décisives ; la question de savoir si la réforme aboutira effectivement à la création d’une fédération européenne dépendra essentiellement du résultat des négociations et, surtout, de la capacité des États participants à doter la future Union d’une capacité fiscale propre.

Les forces favorables à la réforme doivent maintenant faire pression sur les gouvernements pour qu’ils ne tuent pas dans l’œuf la possibilité d’ouvrir la Convention.

Le vote au Conseil européen sur la convocation de la Convention est en effet la dernière étape régie par les règles « confédérales » des traités existants: une fois la Convention ouverte, il sera plus facile de réaliser une rupture souhaitable avec le cadre juridique existant et de permettre aux Etats les plus ambitieux de faire avancer le projet de transformation de l’Union esquissé par la Commission AFCO.
 

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