N. 8 Avril 1999 | L’anomalie qui condamne l’Union à la stagnation économique

L'Union européenne a besoin d'une politique économique expansive avec de forts investissements dans l'innovation technologique et dans les infrastructures européennes. Une perspective qui n'est possible qu'à travers une constitution fédérale, et certainement pas avec les ressources financières actuelles de l'Union et les exigences contradictoires des gouvernements nationaux.

Nombreux sont ceux qui aujourd’hui en appellent à un changement de la philosophie qui a guidé jusqu’ici la politique économique et monétaire en Europe. Il s’agirait de passer d’une phase dans laquelle le souvenir des ravages produits par l’inflation dans les années 80 a poussé les dirigeants politiques et les banques centrales à privilégier l’objectif de la stabilité plutôt que celui de la croissance, à une autre phase dans laquelle l’ordre de priorité doit être inversé parce que le danger principal qu’il faut conjurer n’est plus celui de l’inflation, mais celui de la récession.

Il est un fait que l’économie européenne est en train de ralentir. Une des causes de ce ralentissement doit indubitablement être recherchée dans les répercussions sur les économie des pays de l’Union européenne de la crise du Japon, de la Russie et des pays émergents du Sud-est asiatique et de l’Amérique latine. Il faut cependant noter que le comportement des économies des pays de l’Union face à cette crise est radicalement différent de celui de l’économie américaine, qui présente pourtant un degré d’interdépendance avec les régions en crise qui n’est pas moindre que celui des économies européennes. Ce sont aussi les Etats-Unis qui absorbent la plus grande partie des exportations des pays dont la devise s’est affaiblie à cause de la crise et qui présentent en conséquence un vertigineux déséquilibre de leur balance commerciale, tandis que la balance commerciale cumulée des pays de l’Union présente un fort excédent. Pourtant l’économie des Etats-Unis est dans la course tandis que celle de l’Europe reste au poteau.

Il n’est certainement pas suffisant de se référer à l’évolution de la conjoncture pour expliquer ce phénomène. Dans les pays de l’Union européenne la dépense publique pèse dans la formation du produit intérieur brut pour un montant qui tourne autour de 50%. Il ne serait donc pas correct d’imputer au seul marché la responsabilité du ralentissement de l’économie. La responsabilité des pouvoirs publics est trop évidente pour être niée. Le problème de la paralysie de l’économie européenne ne peut donc pas être dissociée du problème de la paralysie des pouvoirs publics en Europe.

On ne peut pas non plus demander à la Banque centrale européenne de résoudre le problème. La Banque centrale européenne fait son métier, qui consiste à garder le niveau des prix sous contrôle. On pourrait certes discuter sur l’interprétation asymétrique que la BCE donne de l’objectif qu’elle poursuit et on pourrait souhaiter une plus grande flexibilité de sa stratégie. Mais il n’en demeure pas moins que les taux d’intérêt en Europe sont bas et que le fait de les baisser davantage ne pourrait avoir qu’un effet très limité sur l’activité économique. Il faudrait donc cesser d’utiliser la Banque centrale européenne comme alibi pour l’incapacité des gouvernements nationaux.

Dans tous les pays industrialisés, l’économie est tirée en avant par les secteurs à haut contenu technologique. Et le développement de ces secteurs dépend de la politique des gouvernements pour ce qui concerne la construction des infrastructures,

le financement de la recherche et du développement et les commandes publiques. De ce point de vue l’Union présente un tableau désolant. Dans les secteurs à haute technologie, même le marché unique est très loin d’être réalisé effectivement et la difficulté d’accomplir de grandes fusions par delà les frontières entre les Etats membres en constitue un témoignage éloquent.

Le problème crucial reste donc celui d’une politique budgétaire expansive. Il s’agit d’une politique qui ne peut pas être menée au niveau national, et ceci pour deux bonnes raisons. La première est liée au fait que les grandes infrastructures dont la réalisation constituerait la cheville ouvrière de tout développement équilibré doivent nécessairement assumer une dimension européenne. La seconde est liée au fait qu’une politique expansive au niveau national ne ferait que répandre de l’inflation sur les économies des autres Etats membres de l’Union. C’est du reste la préoccupation qui est précisément à l’origine du Pacte de stabilité, qui reflète la méfiance des gouvernements les plus solides de l’Euroland à l’égard des plus faibles et dont les effets sont d’autant plus paralysants que le principe qui anime la politique budgétaire de nombreux gouvernements de l’Union vise a priori la réduction des déficits publics cumulés respectifs.

Une politique expansive pourrait au contraire être menée aujourd’hui au niveau européen sans le plus petit risque inflationniste parce qu’elle ne comporterait que des transferts des budgets nationaux au budget européen et, par conséquent, l’utilisation productive, dans le vaste cadre de l’Union, de ressources employées d’une manière improductive dans la dimension étriquée des cadres nationaux. Mais cette voie ne peut être empruntée tant que la préoccupation exclusive des gouvernements des Etats membres consiste à contribuer au budget européen au niveau le plus bas possible et même à le réduire dans son ensemble au lieu de l’augmenter d’une manière décisive.

Cette situation ne changera pas tant que la structure des institutions européennes constituera un mécanisme capable de ne produire que des compromis entre les prétentions opposées des gouvernements nationaux. Tant que l’Union ne sera pas dotée d’une constitution fédérale et démocratique, elle ne pourra pas prendre de décision dans l’intérêt européen commun et devra continuer à vivre avec les taux actuels de chômage très élevés et avec les conditions structurelles d’une stagnation économique si ce n’est d’une récession. Pour cela les citoyens européens doivent remercier l’attachement aussi obstiné qu’anachronique de leurs gouvernements au fétiche de la souveraineté nationale.

Publius

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