N. 3 Mai 1998 | Six ans après Maastricht, l’Union européenne n’a toujours pas une véritable politique étrangère et de sécurité.

Il est temps de s'attaquer à la question de la souveraineté. Les États européens ont depuis longtemps été incapables de donner à leurs citoyens le sentiment d'être des protagonistes sur la scène mondiale, tandis que l'Union ne peut toujours pas le faire pour la simple raison qu'elle n'existe pas en tant qu'acteur de la politique étrangère.

Six années après la signature du Traité de Maastricht, on doit prendre acte, sans qu’il reste la possibilité du moindre doute, que la partie de l’accord concernant la politique extérieure et de sécurité commune s’est révélée totalement inefficace.

Si l’on examine le comportement de l’Union sur les théâtres de crise qui ont impliqué le voisinage proche de l’Europe, menaçant directement sa sécurité, comme l’ex-Yougoslavie, Israël et l’Irak, on ne peut s’empêcher de constater que l’Union a offert partout un spectacle de division, d’impuissance et d’irresponsabilité.

En ex-Yougoslavie, les Etats européens se sont imaginés qu’en dépoussiérant la vieille logique de la politique de puissance, ils établiraient leurs propres zones d’influence dans la région en encourageant activement, selon les cas, les poussées sécessionnistes croate et slovène ou le nationalisme serbe. C’est ainsi qu’ils ont accéléré la désagrégation de la Fédération et contribué à déchaîner la spirale impitoyable de la guerre civile et de la purification ethnique : une spirale qu’ils ont ensuite été incapables d’arrêter et qui n’a été stoppée que par l’intervention américaine, même si c’est d’une manière précaire et provisoire.

Dans le processus de paix israëlo-palestinien, l’Union européenne aurait pu jouer un rôle décisif si elle avait seulement disposé d’un minimum de force de rayonnement et de capacité d’agir. Shimon Peres avait lancé, en son temps, l’idée d’une Communauté entre Israël et ses voisins du Moyen-Orient inspirée du modèle de la Communauté européenne. C’était la seule voie qui aurait permis le dépassement des tensions exacerbées qui ont conduit par la suite à l’assassinat de Rabin et à la fin des espoirs suscités par les accords d’Oslo. Mais là aussi l’Europe, bien qu’elle ait alloué des fonds importants pour permettre la consolidation de l’Autorité palestinienne, a été totalement incapable de formuler et de soutenir un projet politique qui aurait été d’un intérêt vital et elle a laissé entièrement l’initiative aux mains des Etats-Unis avec les résultats très négatifs qui s’en sont suivis.

A l’occasion de la crise irakienne, les Etats de l’Union se sont encore une fois divisés. Ceux d’entre eux qui n’ont pas soutenu la ligne agressive des Etats-Unis, n’ont pas su opposer la moindre politique alternative, contribuant ainsi seulement à laisser sans solution aucune un problème existant, grave et destiné à exploser à nouveau. Ils ont tenté de présenter comme une médiation réussie et comme un choix pour la paix ce qui n’était que le refoulement d’un problème qu’ils n’ont eu ni la force, ni le courage d’affronter, en espérant qu’il serait résolu par d’autres ou qu’il passerait avec le temps.

La vérité, c’est que l’Union européenne n’a pas de politique extérieure, tout simplement. Et son absence de la scène internationale aura nécessairement des conséquences gravissimes sur le processus d’unification dans son ensemble, si un radical changement de cap n’intervient pas. Ce qui est en jeu, c’est le fondement même du consensus des Européens à l’égard de l’Union. Le sentiment d’appartenance à une communauté politique dépend, plus que de toute autre chose, de la conscience qu’ont ses membres d’être impliqués dans un grand projet destiné à marquer l’avenir du monde. Les Etats nationaux européens ne sont plus actuellement en mesure d’exprimer un projet d’une telle nature : et l’Union européenne ne peut encore le faire, simplement parce qu’elle n’existe pas en tant que sujet d’une politique extérieure. C’est pourquoi les Européens ne s’identifient plus avec les Etats nationaux et ne s’identifient pas encore avec l’Union, déterminant ainsi un vide de consensus qui menace l’existence même de la démocratie.

L’Union se trouve ainsi dans une grave impasse dont il est impossible de sortir avec des expédients institutionnels comme ceux qui sont contenus dans le Traité d’Amsterdam. Les modifications au mécanisme de la prise de décisions dans le champ de la politique extérieure et de sécurité qu’il prévoit ne modifient, de fait, en rien la situation de pouvoir qui cause son inefficacité : de sorte qu’on peut facilement prévoir que dans l’avenir aussi, les organes de l’Union continueront à ne pas représenter un intérêt européen commun mais, à cause de leur inertie, une juxtaposition d’intérêts nationaux, le plus souvent divergents, voire tout à fait opposés, dont la confrontation fait elle-même partie intégrante de la politique extérieure des gouvernements des Etats-membres.

Il est temps de traiter le problème à la racine. Mais, pour ce faire, il faut partir de la reconnaissance que le blocage à dépasser est constitué par la souveraineté, parce que c’est seulement à travers la mise en commun des souverainetés nationales qu’il sera possible de donner naissance à un nouveau sujet européen capable d’agir sur la scène mondiale, de donner la parole à un nouveau et grand peuple, pluraliste dans ses expressions culturelles mais uni dans ses valeurs de liberté, de démocratie et de solidarité, de garantir sa sécurité et son progrès et d’assumer ses aspirations à la paix, à la démocratie et à la justice internationale.

Cela se réalisera uniquement si la classe politique européenne actuelle est en mesure de mettre en avant des hommes ayant la vision et la stature nécessaires pour comprendre la nature profonde du choix historique auquel l’Europe est confrontée et assumer les responsabilités qui en découlent.

Publius

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